Cyril Frizon Directeur de la MSP
Cyril Frizon directeur général de la Mutuelle des Services Publics

Cyril Frizon, directeur général de la Mutuelle des Services Publics (MSP), revient sur les derniers mois qui se sont écoulés. Entre gestion de la crise de la Covid-19, la réorganisation en interne pour y faire face et les décisions collectives concernant l’avenir du Groupe Solimut Mutuelles de France, Cyril Frizon dresse un portrait des défis qui attendent la MSP et, plus généralement, le monde mutualiste.

 

Qu’est-ce que la crise de la Covid met en avant ?

La crise de la covid-19 nous a toutes et tous surpris. Déjà par sa nouveauté, sa forme, et par l’ampleur qu’elle a rapidement prise. Cela fera bientôt un an que nous avons entendu parler de ce virus pour la première fois et tout notre quotidien a évolué. Pourtant, il serait faux de dire que nous n’aurions pas pu prévoir ses conséquences. Cette crise sanitaire n’a fait qu’aggraver les résultats des décisions politiques de ces dernières années.

Il ne fallait pas s’étonner de voir le système de santé français s’essouffler en mars dernier et se remettre à tousser en ce moment. À la MSP, nous avons un attachement particulier au service public. Nous accompagnons les fonctionnaires depuis 1961. C’est notre raison d’être. La Mutuelle des Services Publics a été créée pour ça, pour les protéger le plus efficacement possible. Cela fait des années qu’on assiste à la dégradation de leurs conditions de travail. Chaque citoyen peut le constater, les moyens et conditions d’accueil dans nos hôpitaux deviennent dramatiques. Ce n’est pas nouveau. Et cela ne date certainement pas du premier confinement.

 

Pourquoi la Mutuelle des Services Publics défend-elle une Sécurité sociale de haut niveau ?

La MSP est restée une mutuelle de terrain, une mutuelle professionnelle. Notre métier, c’est d’offrir une couverture santé et des services adaptés aux agents du service public. Et nous connaissons bien le milieu hospitalier. Nous avons beaucoup manifesté avec eux ces dernières années.

Et c’est là toute notre différence : nous ne sommes pas là, nous n’avons jamais été là, pour gagner des parts de marché. Nous existons pour prendre nos responsabilités, accompagner et protéger celles et ceux qui font vivre le service public. Notre positionnement n’a pas changé depuis notre création : la MSP défend le droit à la santé pour toutes et tous. Nous ne souhaitons pas remplacer la Sécurité sociale. Nous sommes là pour la compléter et solidariser les nouveaux besoins.

Nous devons rester vigilants face aux discours émergents qui peuvent nuire aux mutuelles. Accuser les mutuelles de se gaver sur le dos des assurés sociaux et de tirer profit de la crise liée à la covid-19, c’est oublier leur raison d’être, leurs valeurs et leurs combats historiques. Il y a eu des abus, il faut le reconnaître, mais c’est loin d’être une généralité.

Nous dépendons du code de la mutualité, nous n’avons pas d’actionnaires et nous n’avons pas le droit de verser des dividendes. Nous ne sommes pas là pour faire du profit.

C’est notre principe de base et nous n’arrivons pas toujours à le faire savoir autour de nous.

Nous fonctionnons comme une association, avec une assemblée générale et un conseil d’administration élu. Nous sommes à but non lucratif. Si nous avons des excédents, nous les réinjectons pour améliorer la qualité de nos services et développer de nouveaux projets, de nouvelles prestations pour nos adhérentes et adhérents.

Pourtant, nous payons des impôts sur les sociétés et, suite aux décisions gouvernementales, nous allons devoir acquitter une taxe plus élevée dès cette année et dans les prochaines années, soi-disant parce que la crise et le report des soins qu’elle a entraîné ont bénéficié aux mutuelles.

Au moment où l’État se désengage de la Sécurité sociale, les mutuelles sont souvent le seul moyen d’accéder à des soins de qualité. Aujourd’hui, certains essayent de nous faire porter la responsabilité d’un faux problème. La question n’est pas de “récupérer un pactole dissimulé”.  Le “trou de la sécu” n’est pas naturel. Il est construit. Le gouvernement vient de lui transférer la dette des hôpitaux qu’il s’était engagé à rembourser avant la crise Covid. En réduisant les cotisations patronales sans contrepartie, au nom de l’intérêt économique, il assèche les ressources de notre système de protection sociale. En augmentant les taxes sur les mutuelles, le gouvernement va faire payer les mutualistes deux fois. Car ce sont dans les cotisations des adhérents que l’État va puiser sans vergogne ! Ces sommes appartiennent à nos adhérents et elles devraient leur revenir, participer à leur santé et les protéger, plutôt que de payer des chèques en blanc aux grands groupes du CAC 40.

C’est d’autant plus aberrant d’arriver à ce raisonnement que les pays les plus compétitifs au niveau mondial sont les pays dont le système de salaire et de protection sociale est élevé. Pour résister à la crise, notre bouclier social a été un atout non négligeable. Ce n’est certainement pas le moment de le fragiliser.

 

Le but de toutes les assurances santé n’est-il pas de permettre aux gens de se soigner ?

Pas toujours, loin de là. Ce n’est pas le cas d’autres groupes assurantiels. Pour certains, il est temps de faire des propositions substitutives à la Sécurité sociale, dans lesquelles les citoyens auront une couverture santé en fonction de leurs moyens financiers et non de leurs besoins. En marchandisant le secteur de la santé, nous courrons un vrai risque. Celui de faire de l’accès à la santé un privilège peu accessible et de creuser les inégalités sociales.

A la MSP, nous militons pour que chacune, chacun, ait accès aux meilleurs soins possibles, quelle que soit son origine ou sa situation financière.

D’ailleurs, en tant que mutuelle, je pense que pour y parvenir nous devons travailler sur deux points essentiels.

 

Quels est le chantier prioritaire de la MSP pour les prochains mois ?

D’abord, on doit réinstaurer un vrai lien à l’adhérent. Il est primordial que nos adhérentes et adhérents sachent que nos équipes sont à leur service. Quelle que soit la crise qu’ils ou elles traversent. Et celle de la Covid ne fait pas exception.

Notre mutuelle a besoin de se rouvrir à l’échange et la disponibilité. En cela, la Covid nous a aussi permis de saisir une opportunité. Nous avons dû nous réorganiser en urgence. En mars, 70% de nos salariées et salariés ont été mis en télétravail. Cela a aussi impliqué l’interruption de nos actions de terrain. En chamboulant notre fonctionnement, cette crise nous a obligés à prendre à bras-le-corps ce sujet du lien à l’adhérent.

C’était évidemment un enjeu prioritaire, sur lequel nous avions envie et besoin de travailler depuis longtemps. Mais, débordés, nous le remettions toujours à plus tard. Nous sommes happés par des sujets administratifs, comptables, règlementaires, qui pèsent de plus en plus lourd, notamment suite aux règlementations européennes portant sur le secteur mutualiste et assurantiel.

A force de consacrer notre énergie à la gestion du quotidien, nous n’avons plus pris le temps pour remettre l’essentiel au cœur de nos actions. Et pour la MSP, l’essentiel a toujours été, et sera toujours, ses adhérentes et ses adhérents. Leurs voix comptent. C’est grâce à leurs retours que nous pouvons améliorer nos services. C’est grâce à leurs avis que nous pouvons mettre en place des actions de terrain qui leur sont véritablement utiles. C’est grâce à leurs suggestions que nous pouvons innover et nous adapter aux évolutions de leurs métiers. Nous voulons leur faire prendre conscience de leur pouvoir.

Le second défi, c’est la gestion du temps. Tant que nous jouons cavalier seul, nous allons nous épuiser à gérer l’administratif et les problématiques règlementaires.

 

Quels sont les moyens dont les mutuelles disposent pour gérer cette problématique ?

Pour relever ce défi, nous avons besoin de nous réorganiser, de nous unir avec d’autres structures mutualistes. Et le Groupe Solimut Mutuelles de France offre une partie de la réponse, si on prend le temps de le doter des bons outils.

L’Assemblée générale du Groupe Solimut Mutuelles de France s’est tenue en septembre. La conclusion de nos échanges est claire. Le plan stratégique a perdu une partie de son ambition. C’est aussi ça, le jeu de la démocratie. L’acceptation d’une mesure, d’un projet, d’un mode d’action n’est pas systématique. Elle est toujours soumise au vote. Cela fait aussi partie des valeurs que nous défendons. Nous devons nous remettre au travail, ce n’est pas simple, mais le temps et l’énergie ne sont pas perdus, au contraire. Ces travaux ont permis à toutes celles et ceux qui les ont menés d’apprendre à se connaître, à travailler ensemble. C’est une force sur laquelle s’appuyer pour construire les synergies et le groupe dont nous avons terriblement besoin.

 

Ce que je retiens de cette assemblée générale, c’est que le Groupe va renforcer son rôle prudentiel. C’est-à-dire qu’il va se concentrer sur les questions règlementaires qui pèsent de plus en plus lourd sur notre fonctionnement. Le Groupe va nous soulager dans la gestion quotidienne, en apportant un soutien sur les sujets légaux, les problématiques de sécurité, les enjeux de protection des données, etc. Ses missions vont s’orienter autour de la solidification financière des mutuelles qui le constituent et de leur solvabilité à chacune.

 

Cette première pierre est posée. C’était nécessaire, cela ne suffira pas. Maintenant, tout l’enjeu est de savoir comment nous nous allons pouvoir nous organiser de manière cohérente, prendre des décisions conjointes et avancer pour que cette union de services soit réellement efficace.

 

Le défi est là : dans les mêmes conditions qu’aujourd’hui, nous devons arriver à faire mieux avec des moyens contraints. Pour l’instant, nous ne nous sommes pas encore entendus sur le schéma fonctionnel, et c’est le prochain défi auquel nous devons faire face en tant que collectif. Nous ne pouvons pas juste revenir en arrière, ne serait-ce que pour prendre en compte l’ensemble du travail colossal accompli afin de créer les synergies indispensables.

Nous avons le devoir de poser le cadre et les conditions de cette union. C’est à nous de décider ensemble de ce qui en relèvera ou non, de clarifier les services mis à disposition et les modalités financières d’usage pour toutes les mutuelles membres… Tout reste à construire sur les bases travaillées ensemble. Ou, tout du moins, il reste beaucoup à faire. Nous sommes d’accord sur l’idée générale mais, comme souvent dans notre monde mutualiste, c’est lorsque nous rentrons dans le détail que ça se complique.

Ce n’est pas simple de se projeter une nouvelle fois dans ce projet commun en sachant que ce qui était censé le rendre possible n’est plus vraiment à l’ordre du jour. Cela va nous demander – encore une fois – de faire appel à nos capacités d’adaptation. Et de travailler en gardant en tête que nous pouvons encore changer de direction. Après tout, chez nous, même si les cadres sont posés, on peut encore les déplacer.

Je ne le souhaite pas : pour travailler tout en étant efficaces, nous avons aussi besoin de savoir quelle structure va pouvoir piloter ce projet et sérieusement tenir ce rôle, donner un vrai tempo et avancer rapidement.

Cette décision de revoir à la baisse les ambitions du plan stratégique sera sans doute mal perçue par nos collaborateurs. Ils risquent d’y entrevoir un retour en arrière. Nous devons les rassurer sur ce point. Si nous y manquons, nous risquons de perdre les personnes impliquées dans ce chantier. Nous avons besoin de les tenir informées. C’est ce que nous essayons de faire, petit à petit, parce que dans les faits, avoir travaillé ensemble, produits des idées, construit des mécanismes, c’était déjà un défi et nos équipes l’ont relevé. On doit saluer ce travail.

En tant que directeur, on a besoin de régulièrement échanger avec nos équipes. C’est nécessaire dans cette période. La Covid-19 laisse planer plusieurs zones d’ombre. Comment va-t-on fonctionner d’ici six mois ? On se rend bien compte que notre organisation en interne est en train de changer. Nos équipes ont besoin de se sentir épaulées. Et je pense que, pour y parvenir, nous avons surtout besoin d’être proches de tous nos salariés, de les soutenir et de faciliter leurs initiatives pour continuer à proposer des actions de terrain, au contact direct de nos adhérents. C’est ce qui fait le cœur de notre métier. C’est ce qui fait la différence et ce qui est important pour nous.